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Diabolislamisation – Les Musulmans sont-ils les nouveaux Indiens d’Amérique ?

Le mercredi 22 mai 2013, un homme a été tué à Londres à l’arme blanche par deux autres hommes. Ce n’est toutefois pas ce qu’on a pu lire exactement à ce sujet. J’ai entendu parler de cette histoire sur Twitter. Il était question d’un soldat britannique décapité à la machette par des musulmans hurlant « Allah akbar ». Lorsque j’ai lu l’article du Parisien, j’ai compris que le twittos avait déjà interprété, traduit et synthétisé l’événement à partir de son analyse du contexte politique actuel. Je propose un décryptage de ce fait qui n’est pas un fait divers compte tenu de sa résonance médiatique.

  • Deux musulmans ou deux britanniques ?

Lorsque que l’on parle d’un soldat britannique tué par deux musulmans, ce qui semble passer comme une lettre à la poste pour beaucoup m’apparaît comme l’expression d’une subjectivité déjà partiale. En effet, on pourrait distinguer les protagonistes selon leur nationalité ou selon leur religion. Ici, il y a un mélange des genres. Cette asymétrie identitaire semble opposer la nationalité britannique et la religion musulmane en les mettant sur le même plan. Pourtant ces deux musulmans ont bel et bien une nationalité.
Ils seraient Anglais et l’un deux aurait même un fort accent londonien. Les distinguer par la nationalité est donc impossible s’ils sont tous les trois des Anglais. On aurait pu chercher de quelle religion se réclamait le soldat tué, mais on ne le sait pas car il ne l’a pas dit publiquement, contrairement à ses meurtriers. On a pu définir les tueurs par leur religion car ils ont revendiqué religieusement cet assassinat en criant publiquement « Allah akbar ». On retiendra donc leur religion comme élément les dissociant de leur victime.
Si les tueurs sont plus musulmans qu’anglais, alors on dissocie les Musulmans de la population anglaise: ce ne serait pas des Anglais qui ont commis ce meurtre mais des Musulmans. En faisant cette dissociation, on extrait les Musulmans de la masse nationale, leur donnant un statut spécial: musulmans, pas britanniques, donc pas intégrés. Ce sont donc des étrangers qui viennent d’ailleurs, un ailleurs non-européen qui s’est invité en Europe. Cette stigmatisation des Musulmans, à partir d’un acte sanglant interprété politiquement, fait apparaître l’Islam comme un ennemi de la paix nationale, en symbolisant le Musulman comme un corps étranger qui est isolé et qui sera mis en quarantaine pendant son procès. En Europe, l’Islam apparaît comme un ennemi ou, plus précisément, est confirmé dans ce rôle d’idéologie du Mal.

  • Islam et violence

L’essentiel de la culture qu’a un Occidental sur l’Islam lui est apportée par les médias au travers du prisme de la violence. Je ne vais pas citer tous les exemples mais en voici quelques-uns: les persécutions des Coptes en Egypte, les actions armées de la Palestine contre Israël, les attentats du World Trade Center, et ce meurtre de soldat en Angleterre. Est-ce que le Coran justifie ces violences ? Il existe en tout cas des musulmans qui se positionnent contre le terrorisme. Qu’en est-il de la violence à un niveau plus local ? Le juste milieu se situant entre deux extrêmes, je vais commencer par partir d’idées extrêmes pour ensuite affiner.
Dans les pays musulmans, chaque citoyen ne passe pas ses journées à massacrer l’autre. Dans le pire des cas, on peut visualiser les Musulmans pacifistes comme une exception. Or, une exception réfute toute généralité absolue. L’Islam ne serait donc pas systématiquement un vecteur de violence. Dans le meilleur des cas, la majorité des Musulmans sont des gens non-violents. Est-ce qu’un musulman non-violent est un musulman qui n’a rien compris à sa religion ou l’inverse ? La position de Tariq Ramadan est très claire à ce sujet. Il ne souhaite pas réécrire le Coran mais en conteste l’interprétation la plus répandue qui considère les châtiments corporels comme un principe coranique. Il montre et démontre la contradiction effective entre l’application de ces peines et  « les finalités essentielles et supérieures » défendues par le Coran que sont « l’intégrité de la personne (an-nafs) et la promotion de la justice (al-‘adl) ».

  • La religion, un poison comme l’eau

Si l’Islam n’est pas une religion violente, alors la violence dans l’Islam ne serait qu’une violence malgré l’Islam. Même si les propos des médias induisent qu’un « terroriste islamiste » est un terroriste exprimant une violence au nom du Coran, on peut rejeter l’affirmation consistant à dire que ce serait les principes du Coran qui lui imposeraient de commettre des attentats et des meurtres. Toutes les religions ont un potentiel de violence si celui qui l’instrumentalise est violent au départ. Celui qui veut exprimer sa violence individuellement (agression isolée) ou sous forme collective (guerre) pourra trouver facilement des justifications, des arguments dans chaque religion. Si on considère toutes les guerres qu’a connues l’Histoire, il n’y a pas une seule religion qui n’ait pas fait l’usage de la violence: le Christianisme a eu ses Croisades, Israël qui est un Etat Juif a bombardé la Syrie et des Bouddhistes ont récemment tué des Musulmans en Birmanie.
On peut faire le procès des religions dans leur ensemble pour toutes les guerres qu’elles ont générées. On peut également reconnaître leurs bienfaits. La religion est comme un médicament: elle soigne si elle est bien dosée, et elle rend malade et peut même tuer si elle est mal manipulée. Il n’y a aucun concept qui soit un excès par essence. C’est l’être humain qui, par ses abus, peut tuer et se tuer avec n’importe quoi. Vous pensez que l’eau est bonne pour la santé ? En boire trop peut tuer. Tout est une question de dosage, de juste milieu. Des médicaments, un marteau, une voiture, une fenêtre du cinquième étage… Tout peut tuer. C’est l’action de l’Homme qui, par ses décisions, transforme l’objet en danger, le risque en réalité. On ne peut pas supprimer tout ce qui est dangereux car rien ne l’est dans l’absolu. Il serait donc vain de vouloir bannir toutes les religions. C’est l’Homme qui est son propre danger par ses abus. On ne peut que tenter de réguler ses pratiques afin de les maintenir dans un cadre raisonnable (sans danger, sans violence).
S’il est possible de convenir qu’aucune religion n’est fondée sur la violence, il faut également reconnaître qu’aucune religion n’y échappe. Et pourtant les médias semblent se focaliser sur l’Islam comme si c’était la seule source de violence et de terrorisme au monde.

  • La petite fenêtre sur le monde

Compte-tenu de mon expérience personnelle, de mes enquêtes et du hasard de mes rencontres, en France et ailleurs, il me semble que la majorité des Musulmans ont les mêmes aspirations et les mêmes vœux de paix que la majorité des non-Musulmans. Les médias français tiennent-ils un discours similaire ? On peut se poser la question de la conformité entre la représentation des Musulmans dans les médias et ceux que l’on peut croiser, connaître et avec qui on peut nouer des liens dans sa vie professionnelle, privée, dans la rue ou sur internet. Par ailleurs, il serait également facile d’oublier ceux que l’on ne connaît pas, ne rencontre pas, qui ne s’expriment pas et vivent leur Islam dans la discrétion, l’humilité et le silence. Ces Musulmans-là occupent leur place de citoyens, en France ou ailleurs, sans faire de leur spiritualité un combat public, personnel ou politique. Mais on n’entend que ceux qui font du bruit et dont le bruit est rapporté.
Les médias sont un filtre, un œil particulier, un intermédiaire entre le monde qu’il décrit et le public. Ce que l’on sait via les médias est donc orienté, selon les sensibilités idéologiques et les choix des rédacteurs en chef des journaux d’information. On considère qu’il y a des journaux qui ont des traditions d’engagement politique, par exemple à droite pour Le Figaro et à gauche pour Libération. Si on se limite à une seule source d’informations, on prend le risque d’injecter dans sa réflexion personnelle des éléments partiaux dont la source est subjective donc partiale donc contestable. Si on a un interlocuteur unique, on ne peut pas décider si on accepte ou rejette ce qui est dit: sans élément de comparaison, sans connaissance d’une contradiction possible, on n’a aucune raison de penser différemment car aucun moyen intellectuel de faire preuve de recul, de sens critique. Afin de ne pas se faire enfermer malgré soi dans le paradigme d’une idéologie qui nous abreuverait d’informations orientées politiquement, il est donc nécessaire de multiplier ses sources d’informations pour repousser les limites de ses préjugés. De plus, la nature des informations relayées par les médias sont souvent négatives quand il s’agit de politique internationale. Cette fenêtre anxiogène sur le monde est également un parti pris, pessimiste. Il faudra donc aller regarder ailleurs que dans le feu de l’actualité pour étudier au calme la culture musulmane et l’histoire des pays islamiques. En sortant du conditionnement médiatique occidental, on a alors une chance de comprendre pourquoi les médias se focalisent sur un risque islamique.

  • La victime était un Anglais

Un des deux meurtriers a expliqué avoir agi en représailles: « Nous jurons par Allah tout puissant que nous n’arrêterons jamais de vous combattre. Les seules raisons pour lesquelles nous avons fait ceci, c’est parce que des musulmans meurent chaque jour. Ce soldat britannique, c’est oeil pour oeil, dent pour dent. Nous nous excusons que des femmes aient vu ceci aujourd’hui mais dans nos pays nos femmes sont obligées de voir la même chose. Vous, peuple, ne serez jamais à l’abri. Changez vos gouvernants. Ils ne prennent pas soin de vous ». Ces criminels sont comparés à des « loups solitaires » plus qu’à des membres d’organisations terroristes. Toutefois leurs motivations se veulent politiques et ont un certain retentissement dans un contexte de guerre opposant d’une certaine façon le camp de l’Occident, mené entre autres par le Royaume-Uni, aux Musulmans.
Ces revendications font écho aux conflits entre l’Occident et le monde Arabomusulman (l’Afrique et le Moyen Orient) qui ont démarré en 2001. Depuis, 9000 militaires britanniques ont été envoyés en Afghanistan. Après les Etats-Unis, c’est le Royaume-Uni qui fournit le plus de soldats à l’OTAN. Les deux pays marchant conjointement dans les guerres menées contre le terrorisme, chaque action militaire américaine est non seulement cautionnée mais également soutenue par le gouvernement britannique. C’est cet actif soutien que les deux criminels dénoncent. De plus, en Libye, avec le concours de la France et des Etats-Unis, la Grande-Bretagne aurait procédé à des tortures et des meurtres, et il est même question de massacres de combattants pro-Kadhafi selon des méthodes qui semblent avoir inspiré les deux criminels de Woolwich. Expliquer les mécanismes logiques qui les ont conduits à commettre leur crime n’est en aucune façon une excuse de ce crime. Il n’est pas concevable d’excuser un crime, et essayer de le comprendre ne peut pas être assimilé à une tentative de justification.

  • Un humanisme qui utilise la violence

Tous ces crimes de sang, en Europe ou ailleurs, sont à condamner sans nuance. La position philosophique de toute personne se revendiquant humaniste universaliste ne peut déboucher que sur une condamnation de toute sorte de violence, sans être plus conciliant avec un type de victime plutôt qu’une autre, car un humanisme universel n’autorise pas le deux poids deux mesures d’un humanisme sélectif, qui est un humanisme à exceptions. Cet humanisme relatif est fermement récusé par les pacifistes car c’est un courant de pensée qui, par une hiérarchisation de l’importance des vies humaines, justifie le colonialisme, autorise moralement les guerres de colonisation contre une civilisation considérée inférieure.
En 1550, lors de la Controverse de Valladolid, s’opposèrent deux formes d’humanisme qui défendaient deux approches de la colonisation de l’Amérique. L’humanisme religieux de Sépulveda était moralisateur: il jugeait les pratiques des indigènes comme dangereuses pour eux-mêmes et défendait le concept de « justes causes de guerres » quand il s’agissait de faire changer en bien des Hommes. Au contraire, l’humanisme religieux de Las Casas était bienveillant: il ne souhaitait qu’une démarche prosélyte pacifiste. Las Casas voulait convertir les Indiens au nom de valeurs chrétiennes et fut quelque peu désappointé d’apprendre que la colonisation avait finalement totalement occulté cet aspect évangélique en bafouant les principes-mêmes de la religion en tuant et en réduisant les autochtones à l’esclavage.
Il fut conforté dans sa position humaniste par les déclarations d’Alonso de Zorita, juge espagnol ayant officié au Mexique, qui remettait en cause le qualificatif de barbare qu’attribuait le conquistador Cortès à la civilisation aztèque. En effet, selon la définition de la Bible, un barbare était un non-chrétien à convertir. Mais pour Zorita la définition de ce mot se devait d’être revue après sa réévaluation de la culture des colonisés: « Pourquoi les Aztèques sont-ils des barbares ? Si ce sont eux qui me parlent et que je ne comprends pas, je serai pour eux un barbare. »
Dans une lettre à Charles Quint, Motolinia, un des opposants à Las Casas, réclamait des conversions de force si c’était nécessaire: « Ceux qui ne voudraient pas recevoir de bon gré le saint Évangile de Jésus-Christ, qu’on le leur impose par la force ». Son totalitarisme religieux s’explique par son urgence de voir de nouveaux fidèles rejoindre le courant catholique pour l’aider à lutter face au nouveau courant protestant, né d’une scission du christianisme qui fut initiée par la réforme luthérienne démarrée au début des années 1520. On peut ainsi mieux comprendre son impatience quand il énonce son principe totalitaire: « mieux vaut un bien accompli de force qu’un mal perpétré librement. »

  • Les nouveaux conquistadors de l’Occident

Las Casas comparait les sacrifices humains aux combats de gladiateurs. Finalement, quelle civilisation était la plus barbare ? Selon lui, si la civilisation européenne de l’époque avait quelque chose à apprendre aux Indiens, c’était à eux de s’en inspirer de leur propre initiative, pas sous la contrainte de lois qu’ils ne reconnaîtraient pas puisqu’elles viendraient d’une autre civilisation que la leur, avec des valeurs répondant à un autre paradigme que le leur. Il n’avait aucun intérêt à changer leurs règles de vie.
Cinq siècles plus tard, on retrouve les mêmes ingrédients ethnocentriques de la colonisation religieuse de l’Amérique par les Espagnols: pour le bien des populations opprimées par des dictatures islamiques violentes qui appliquent des châtiments corporels, l’Occident veut convertir les pays musulmans à la démocratie. Cela pourrait se faire de manière pacifique, en traitant commercialement avec eux, leur faisant une place sur l’échiquier économique pour les faire sortir de la pauvreté et donc améliorer les conditions de vie de leurs peuples.
L’Occident et l’OTAN, à la manière d’un Motolinia, ont opté pour une solution moins pacifique: ils bombardent les hôpitaux, ils utilisent des armes atomiques au rayonnement radioactif dangereux pour l’environnement, ils bombardent des enfants en Afghanistan, ils tuent 100000 civils en Irak , ils tuent un porte-parole pacifiste et détruisent l’ensemble des bâtiments civils (hôpitaux, écoles, universités, routes) en Libye  tout en présentant une note de frais de 480 milliards de dollars pour reconstruire ces infrastructures de première nécessité qu’ils ont détruites eux-mêmes. La démocratie dans ces pays, tout comme la religion chrétienne en Amérique, devait apporter davantage de justice. La démocratisation et l’évangélisme ont tué comme les dictatures islamiques et les rites de sacrifice humain chez les Indiens. Ceux qui refusaient de mourir de la main de leurs bourreaux, sont-ils ingrats de protester quand ils meurent de la main de leurs sauveurs ?

  • Guerres démocratisantes: échec politique et échec philosophique

« Mieux vaut un bien accompli de force qu’un mal perpétré librement ». Voyons le résultat des guerres démocratiques menées par l’Occident, pour mesurer le bien accompli de force.
Aujourd’hui, la Libye a instauré la charia, c’est-à-dire la loi islamique utilisant les châtiments corporels. En avril 2013, un sondage annonce que 99% des Afghans veulent que la charia soit la loi de leur pays. L’an dernier, il y a eu 130 exécutions en Irak, on utilise la torture, la majorité des prisons sont en surcapacité, les veuves sont en proie à la prostitution…  En 2013, la majorité des musulmans sont favorables à la charia tout en estimant que la violence au nom de l’Islam n’est jamais justifiée .
Manifestement, les guerres n’ont pas converti leurs survivants au mode de vie occidental: ils semblent attachés à la logique de châtiments corporels. Cela confirme que la charia fait partie de leur culture et ne leur est pas imposée par leurs dirigeants. Si l’on veut voir la charia disparaître des pays musulmans, ce n’est pas son interdiction par un autre peuple qui fera changer les mentalités mais, tout comme la France en 1789, c’est un changement de mentalité qui aboutira à l’abolition de la charia.
Aujourd’hui, la France est fière de sa révolution car elle s’est déroulée en cohérence avec son Histoire et sa tradition philosophique qui avait fait son chemin. Il y avait une logique sociologique. Aucun autre peuple n’a aidé, épaulé, initié ce mouvement révolutionnaire d’origine spontané. Pour faire évoluer les mentalités, on utilise la guerre pour gagner du temps. Or cela relève d’une fainéantise intellectuelle puisqu’on remplace la pédagogie qui influence par la force qui contraint. Le bon choix doit être décidé par l’individu lui-même. Si on lui impose le bon choix de quelqu’un d’autre, on entrave sa liberté de conscience, même si ce bon choix convient à celui qui l’impose. Tout le monde veut être libre, mais il y a une contradiction à vouloir imposer aux autres sa propre façon d’être libre. La liberté, c’est la possibilité de choisir. La paix ne peut pas être imposée de l’extérieur par la violence, elle doit naître à l’intérieur par la réflexion.
On peut alors remettre en question la pertinence de ces guerres vu que les situations de départ, qui ont officiellement motivé ces interventions militaires, se retrouvent encore aujourd’hui. On peut également s’étonner du silence de l’OTAN au sujet de l’Arabie Saoudite, qui est une dictature violente mais qui n’a jamais été menacée ou même condamnée pour ses dérives.

  • Quel camp défendre ?

C’est le caractère exceptionnel en Europe du crime de Woolwich qui le rend si symbolique. Les dizaines de milliers de morts en Afghanistan, en Irak et en Libye représentent une quantité déshumanisée: il est plus simple pour un individu de s’identifier à un autre individu seul plutôt qu’à un nombre qu’il est difficile de se représenter intellectuellement. C’est un Européen qui est mort, donc les Européens s’identifient à lui car ils se reconnaissent dans cette victime dont ils visualisent une culture commune, un quotidien plus similaire aux leurs que celui d’un Afghan ou un Libyen.
On connaît également son nom: Lee Rigby. Son âge: 25 ans. Sa situation familiale: père d’un fils de 2 ans. Et un bout de son passé: il a servi en Afghanistan, en Allemagne et à Chypre. Dans l’autre camp, on ne parle que de civils, d’inconnus flous, sans visage et sans nom, sans statut social et sans passé, sans famille et sans vie. Le piège du manichéisme serait de prendre parti pour certaines victimes et pas d’autres, offensant ceux qui prennent parti pour d’autres victimes et pas certaines.
– Plutôt que de chercher à confronter numériquement cet unique soldat britannique aux nombreuses victimes des guerres démocratisantes, au nom des mathématiques;
– Plutôt que de vouloir prendre parti pour le pays ou le continent où l’on est né, au nom de la géographie;
– Plutôt que de vouloir prendre parti contre une culture, au nom de l’ethnocentrisme;
– Plutôt que de ne condamner que l’auteur des crimes de l’autre camp, au nom d’un humanisme sélectif;
– Plutôt que de vouloir convertir l’autre en soi et annihiler celui qui veut rester différent, au nom de la peur,
il semble plus juste de déplorer et dénoncer toutes les morts violentes, sans jamais justifier le moindre crime de sang ou agression physique de quelque nature que ce soit. Si nous arrivons à justifier certains de nos crimes, alors nous offrons un cadeau rhétorique à tous les humains qui peuvent à leur tour justifier des crimes en utilisant la même justification. Dire que nous pouvons tuer cautionne explicitement les assassinats de nos ennemis. Il faut être lucide et savoir ce qu’un deux poids deux mesures implique.
Les Etats-Unis, la France, l’Inde, le Pakistan et Israël détiennent la bombe atomique. Mais quand l’Iran veut développer son nucléaire domestique, tous les détenteurs de la bombe atomique s’insurgent. Il y aurait donc des pays qui méritent la bombe atomique et certains qui en feraient un mauvais usage et qui doivent en être privé. Si l’Iran possédait la bombe atomique, l’Occident le sanctionnerait d’une guerre préventive, pour se prémunir d’une agression qui n’a pas encore eu lieu, comme en Irak, en Afghanistan, en Libye et, plus récemment, en Syrie. Une guerre préventive, c’est la première agression, et son auteur ne peut donc pas invoquer la légitime défense car aucune attaque n’avait été lancée au préalable. Si vous vous faites attaquer pour quelque chose que vous pourriez faire, alors on se trouve en plein dans le procès d’intention.

Entre la violence religieuse musulmane et la violence politique occidentale, je refuse de choisir qui a raison. Pour résoudre un problème, il faut en analyser les causes. On peut expliquer sans justifier. Le meurtre de Woolwich, inadmissible et intolérable, est l’expression d’une révolte contre les actions militaires de l’Occident. Que se passerait-il si l’Occident arrêtait son ingérence dans les pays musulmans ? Si le but de cette ingérence était de convertir les peuples à la démocratie, c’est raté, cela ne fonctionne pas. Pourquoi continuer ? Les Etats-Unis ont souvent menti sur leurs motivations pour faire des guerres, alors cette excuse de démocratisation des pays islamiques pourrait n’être qu’un alibi pour avoir le support du peuple, nécessaire aux actions militaires à l’étranger. Aujourd’hui l’Occident riposte mais il subit peu d’agressions. Pour légitimer ses offensives, il anticipe des attaques d’un camp adverse. De peur d’être attaqué, l’Occident attaque en premier. Si on accorde le droit à l’Occident d’attaquer préventivement, pourquoi refuser aux pays musulmans de riposter ? Si l’Iran menait une guerre préventive, je ne vois pas comment argumenter contre sans expliquer que notre civilisation occidentale doit garder le privilège de la violence, au nom d’une supériorité civilisationnelle. L’Occident n’est pas contre l’usage de la violence puisqu’il l’utilise. L’Occident ne juge les violences comme monstrueuses que lorsqu’il en est la victime. Finalement, pour éviter la réalisation du fantasme d’une colonisation mondiale par les pays islamiques, l’Occident prend les devants, au nom du bien, et déclare la guerre à tous les pays islamiques.

Ceux qui prétendent tout savoir et tout régler finissent toujours par tout tuer.
– Albert Camus

Mariage pour tous – Catholiques contre homosexuels ?

Depuis plusieurs mois, la France est divisée au sujet du projet de loi qui permet aux homosexuels de se marier entre eux. La vive émotion qui s’est emparée du débat vient de la surprise et incompréhension des pro- qui n’avaient pas anticipé une telle mobilisation des anti-. En effet, ce mariage pour tous est présenté comme le moyen d’offrir aux homosexuels une égalité reconnue légalement. En des termes vulgarisés qu’emploient beaucoup de pro-, accorder le mariage aux homosexuels revient à leur accorder le droit de s’aimer publiquement, sans se cacher. Qui peut oser s’opposer à l’amour et à sa célébration? Dans les comédies romantiques et dessins animés de Disney, le présupposé est évident: la plus grande consécration et preuve d’un amour réciproque, c’est le mariage. Vouloir empêcher le mariage entre deux personnes, ce serait donc vouloir empêcher leur amour.

C’est une vision très romantique de l’institution du mariage qui, jadis, relevait de la religion. C’est d’ailleurs ce qui chiffonne les catholiques, pratiquants ou pas, qui y voient toujours un sacrement religieux. Hélas pour eux, le mariage civil a emprunté à la religion le mot et son concept d’union entre un homme et une femme. Manifestement le temps n’a pas réussi à effacer la connotation religieuse du terme. Aujourd’hui, le mariage n’est plus une histoire de religion mais relève du Droit français. C’est ce qu’on peut appeler l’héritage catholique de l’Histoire de France. Toutefois, le catholicisme n’appartient pas au passé, il y a toujours des catholiques en France: entre une personne sur deux et deux personnes sur trois (selon un sondage IFOP de 2009). Mais il doit faire un peu de place à l’Islam et au Judaïsme.
Le catholicisme a commencé à s’installer en France au IIème siècle et a donc quelques longueurs d’avance historiques sur les autres religions. Par chance (ironie), la position des papes au sujet du préservatif ainsi que les différentes affaires de pédophilie dans l’Eglise catholique ont fait leur travail de désacralisation de cette religion. En parallèle, la loi Gayssot du 13 juillet 1990 condamne non seulement les actes mais également les propos racistes, assimilés à de l’incitation à la violence. Cette loi punit le racisme, l’antisémitisme et toute forme de xénophobie. Par discrimination linguistique, cette loi ne s’assurait donc pas de la protection des catholiques blancs. Rien de choquant a priori: étant majoritaires en France, il était peu probable que les catholiques subissent la majorité des agressions. Mais on peut aller plus loin encore. La xénophobie, c’est la haine de l’étranger. On peut, au passage, regretter ici la mauvaise utilisation du suffixe -phobie, qui vient du grec « phobos », « la peur». Il est vrai que la haine trouve bien souvent ses racines dans la peur de l’inconnu. On a moins peur de quelque chose qu’on connaît. Dans le mot « xénophobie », la peur et la haine se confondent. Amusons-nous: il est donc illégal d’avoir peur. La peur est illégale. La France punit donc une émotion. C’est assez absurde, je vous le concède, mais c’est ce que le mot signifie vraiment. La linguistique est une arme terrible et c’est l’instrument le plus sournois que l’on peut utiliser au service d’une idéologie politique, religieuse ou autre. Fin de la digression.
La xénophobie est punie par la loi. En grec, « xenos » signifie « étranger ». La xénophobie ne concerne que l’étranger. Le Français n’est donc pas couvert par ce terme. Le Français catholique blanc devenait donc, par discrimination, le destinataire de cette loi, donc l’unique agresseur logique des minorités religieuses et ethniques. C’est peut-être cette lecture-là qui a semé le trouble dans l’identité nationale de la France, identité nationale devenue un sujet tabou car on en a totalement perdu le contrôle, à force de contradictions motivées pourtant par un désir de justice et de paix. La juste mesure est difficile à trouver en politique et les discours victimaires s’appuyant sur la loi ont vite fait de transformer un David oppressé en un Goliath qui fait des procès et les gagne. Le blanc catholique, qui est trop Français pour invoquer historiquement une quelconque oppression dont il aurait été un jour victime dans son propre pays (oppression qui aurait pu faire naître une loi de protection), se trouve donc dans une position délicate quand il est attaqué sur sa couleur de peau ou sa religion dans le pays de ses racines ancestrale: il est majoritaire en France, en conséquence il semble tout à fait normal de compenser cette supériorité quantitative et présence historique en prenant sur lui, afin d’accepter les revendications égalitaires des minorités complexées qui peinent à se trouver une place en société, encore plus en période de crise économique, tout en étant bien souvent tourmentées par un déracinement qui est une véritable épreuve existentielle, qui que l’on soit, où que l’on aille vivre, d’où que l’on vienne.

C’est dans cette logique de protection des minorités que l’on se retrouve, en 2013. Il est évidemment difficile de savoir quelle est la proportion exacte d’homosexuels qui revendiquaient le mariage avant cette agitation « populaire ». Aujourd’hui, ce n’est plus la question. Le mariage est devenu
l’instrument égalitaire de cette communauté. L’homosexuel qui n’avait pas de projet de mariage particulier, mais qui se sent discriminé (ou discriminable) en raison de son orientation sexuelle, peut ainsi saisir l’opportunité qui s’offre à lui de défendre sa communauté contre des agressions homophobes. Par empathie, l’hétérosexuel qui n’est pas nombriliste défendra également le droit au mariage pour les homosexuels. Le mariage accordé aux homosexuels normalisera leurs unions et on ne discrimine pas ce qui est normal, seulement ce qui est différent. On oublierait presque de se poser la question de ce qu’est une normalisation.

On peut remettre en question l’utilisation du mariage comme méthode de normalisation d’une communauté qui se distingue par son orientation sexuelle. L’orientation sexuelle signifie la préférence d’un sexe pour avoir des relations sexuelles. Il n’est nullement question de sentiments dans ces termes, mais, a priori, sexualité et sentiments sont reliés. Il ne s’agit pas que d’un chipotage sur des détails. Il s’agit de mots dont les signifiés, les représentations mentales, servent à construire notre conception du monde d’où découlent notre sens logique, notre morale, nos principes. La différence entre des hétérosexuels et des homosexuels réside dans le sexe de leurs partenaires sexuels respectifs. Le suffixe -sexuel est déjà assez évocateur quant à la nature de la différenciation entre les deux groupes d’individus. Cela est de la simple théorie sur laquelle je crois qu’il est possible d’être tous d’accord. En pratique, la différence est que, dans le cadre d’un rapport sexuel, un couple homosexuel est stérile. Un couple hétérosexuel peut être stérile également, mais seulement en cas de défaillance des organes reproducteurs. Un couple homosexuel, lui, est toujours stérile, car les organes reproducteurs identiques ne peuvent pas aboutir à de la procréation car l’être humain n’est pas hermaphrodite. Une opération de changement de sexe pourrait à la rigueur être le seul cas se rapprochant de l’hermaphrodisme puisqu’un transsexuel est un individu qui a changé de sexe. Toutefois, le processus de transformation n’est pas biologique mais chirurgical (le phénomène n’est pas spontané, il y a intervention extérieure).
Le modèle parental simple qu’offre la nature, c’est un père et une mère, un modèle biologique à deux individus. Or, pour qu’un couple homosexuel devienne des parents, il y aura nécessairement intervention d’une troisième personne: une femme qui aura porté l’enfant d’un couple d’hommes, ou un homme qui aura donné son sperme à un couple de femmes (l’une ou l’autre, ou les deux). Cette idée de trio va à l’encontre des principes ancestraux du mariage « simple » entre deux individus. De par le principe de laïcité, les catholiques n’ont plus la légitimité d’émettre un avis sur le mariage civil. C’est pour cette raison que l’avis des catholiques concernant le mariage homosexuel est systématiquement rejeté, car on attribue leur position politique à l’expression d’un dogme religieux. Les défenseurs du mariage pour tous mettent un point d’honneur à mentionner la séparation entre l’Eglise et l’Etat. La communauté catholique, qui assimile ce bâillon rhétorique à un procès d’intention, se sent frustrée par l’impossible débat de fond. L’absence totale de communication de qualité conduit fatalement à des actions violentes menées par les individus les plus extrêmes.
Les pro- ne revendiquent que le mariage en tant qu’union d’amour. Il n’est pas réellement question de parentalité. Ce n’est pas ce qui est revendiqué en premier. Or, le mariage a été créé pour encadrer socialement et légalement le développement d’une famille. Les gens qui défendent le mariage pour les homosexuels se retrouvent donc encombrés par un ensemble de mesures légales, inhérentes au mariage, qui n’ont concerné jusqu’à aujourd’hui que des modèles de couples mixtes capables d’avoir un enfant de manière autonome. C’est pourquoi, si l’on veut appliquer de manière équitable le mariage pour les homosexuels et les hétérosexuels, il va falloir modifier quelque chose quelque part. On peut modifier le Code Civil et enlever toute mention de parentalité, et donc extraire du mariage sa consistance éthique originelle, puérocentrée (du latin « puer », « enfant »). Cette solution ne résisterait peut-être pas longtemps dans un débat, personne ne voudrait remettre ça en question sérieusement. Afin de rendre égaux hétérosexuels et homosexuels, via le prisme du mariage, il va donc falloir considérer la possibilité de laisser libre aux homosexuels d’avoir un enfant, afin de jouir pleinement de tous les droits du mariage. On peut alors s’amuser à extrapoler une évolution dans la démarche égalitaire de conquête d’une normalité.
Le mariage homosexuel est un instrument égalitaire. Le mariage d’amour entre homosexuels sera un acte politique qui aura pour but d’éduquer le citoyen français en lui faisant assimiler qu’être homosexuel n’est pas marginal puisque ce n’est pas un critère qui empêche l’union de deux personnes de même sexe devant la loi. Si les homosexuels ne se marient pas, l’instrument égalitaire ne sera pas utilisé et le combat qui aura été mené pour rendre ce mariage possible pour les homosexuels ne sera pas honoré. Une fois mariés, les couples homosexuels se distingueront des couples hétérosexuels en n’ayant pas d’enfants. Or, l’institution du mariage prévoit l’arrivée d’un enfant. Il y aura donc une différence entre un couple homosexuel et un couple hétérosexuel, puisque le premier se distinguera du second par son incapacité à avoir un enfant de manière autonome. Il y aura discrimination de nature biologique. Seule l’arrivée d’un enfant au sein du couple homosexuel pourrait véritablement permettre de rivaliser avec un couple hétérosexuel marié qui, lui, aurait eu un enfant biologique. Les couples mixtes et les couples homosexuels ne sont pas égaux devant la biologie. Ce n’est donc pas une démarche égalitaire de conquête d’une normalité via le mariage qui arrivera à venir à bout de différences. Aucune normalisation ne pourra donc rigoureusement donner aux homosexuels et aux hétérosexuels la même existence légale et sociale. Je n’aborderai pas la procréation médicalement assistée ou la gestation pour autrui car ces sujets ne sont pas à l’ordre du jour, et donc en discuter relèverait plus d’une prospective sociologique que d’un débat d’actualité. J’en parlerai certainement plus tard.
Ce débat sur le mariage en France se déroule dans un paradigme à l’intérieur duquel il est normal de se marier quand on est en couple. Un couple qui se marie est un couple qui a priori est plus solide qu’un couple qui ne s’est pas marié, même s’il est vrai qu’un divorce peut mettre un terme à tous les mariages. La lourdeur administrative d’un divorce, souvent difficile à gérer matériellement et émotionnellement, a en effet de quoi dissuader les couples qui ne sont pas certains de réussir à rester ensemble. La réciproque est donc qu’un couple qui se marie est certain qu’il n’aura pas à utiliser le divorce car il pense qu’il ne se séparera pas. Le mariage ayant été mis au point pour encadrer l’arrivée d’un enfant, le second présupposé est que cette vision normalisatrice du mariage implique qu’avoir un enfant relève également d’une normalité. Les allocations familiales accordées par l’Etat peuvent confirmer cette interprétation.
Deux positions peuvent être adoptées quand on considère une norme. On peut adhérer à cette norme ou la rejeter. Si le mariage est une norme en France, quel serait alors le sens d’un combat pour l’instauration d’un mariage ouvert aux homosexuels? Prendre position pour que des individus rejoignent une norme revient à présupposer la légitimité de cette norme, puisqu’on la défend en la servant, en la nourrissant, en la définissant. Une norme est un modèle. Les hétérosexuels et homosexuels ayant accès au mariage, les deux catégories représenteraient cette norme et les individus hétéro- et homosexuels seraient donc considérés comme égaux. Être égalitaire, c’est vouloir l’égalité entre les gens, le refus d’évoquer une différence. Cela touche à la nature propre des individus. En réalité, tout le monde veut se battre pour une équité entre les gens, une égalité de traitements pour tous, peu importent les différences car il y a des différences. Le mot « équité » n’a pas été retenu. Le mot « égalité » est celui qui est utilisé. Or, un hétérosexuel et un homosexuel ne sont pas égaux biologiquement. On pourra toujours y « remédier », contourner la loi naturelle par des moyens scientifiques, comme par exemple la PMA ou GPA que je n’aborderai pas aujourd’hui.
La couleur de peau constitue également une différence qui est difficilement énonçable à voix haute. On préférera utiliser la périphrase « de couleur », sans vouloir la nommer, la couleur. Les plus téméraires oseront « noir de peau ». Ceux qui n’utiliseront que le terme « noir », pour désigner quelqu’un qui a la peau très foncée, éveilleront systématiquement des soupçons de racisme. Les mots contiennent de la violence, des connotations taboues qui peuvent détruire leur énonciateur. Et pourtant c’est par les mots que l’on peut décrire le monde que l’on voit et comprendre le monde vu et décrit par les autres. « Les Noirs » prend avec une majuscule alors que « les vieux » ou « les chauves » ou « les homosexuels » n’en prennent pas. Qu’est-ce que ce détail de pure linguistique signifie? En France, on ne parle pas des différences entre des communautés. Il y a trop de douleur. Ou trop de peur d’en parler. La Loi Gayssot a été très efficace, peut-être trop, dans la mesure où, en convainquant de ne plus exprimer des idées, cette loi a stigmatisé de simples mots qui n’étaient pourtant pas des insultes, qui ne portaient pas intrinsèquement de valeur idéologique. Le résultat en 2013 est qu’on a l’impression que seuls les antisémites parlent des Juifs ou que le patriotisme est une abomination des partis d’extrême droite. Les définitions du dictionnaire ne sont plus suivies, elles ont été dépassées par les tensions sociales. On ne peut plus aborder certains sujets, devenus tabous, que par l’intermédiaire de perspectives qui excusent d’elles-mêmes la mention des communautés, comme la discrimination positive ou la lutte contre les discriminations « non-positives ». Il y a une contradiction: on refuse les différenciations, les dissociations, et pourtant on catégorise les agressions selon l’identité communautaire des victimes: actes antisémites, actes racistes, actes sexistes, actes homophobes. Ces termes, clairement connotés péjorativement, ont de regrettable qu’ils sont l’expression de théories qui considèrent des individus comme inégaux en leur accordant un traitement particulier qui peut être agression ou protection. D’une certaine façon, tout le monde fait des discriminations: les racistes et autres discriminateurs diabolisent, les anti-racistes et autres anti-discriminateurs infantilisent. On ne peut pas refuser les discriminations de groupes de gens discriminés en raison de leur appartenance à une communauté et défendre de manière discriminatoire (positivement) ces mêmes communautés. On en oublierait presque le dénominateur commun: tous sont des êtres humains.
A force de n’identifier des individus qu’à leur statut de victimes qu’il faut protéger, ceux-ci se voient confortés dans cette position d’opprimés, justifiée par le discours ambiant qui ne cesse de dissocier leur destin de celui des autres communautés. Finalement, en défendant de manière particulière les communautés musulmane, juive ou homosexuelle, on justifie leur sentiment d’insécurité particulière. Les individus qui se sentent en danger ont le réflexe de se replier dans leur communauté. Il est alors difficile d’attendre de leur part la défense d’un idéal universaliste qui dépasserait leur propre communauté. Ils se concentrent sur leur propre cause. De ces sentiments de persécution naissent des idéologies spécifiques défendues par des groupes s’opposant à d’autres groupes, tous aussi inquiets à propos de leur protections respectives dans la société. La lutte des classes a passé le flambeau à la lutte communautaire.

La communauté catholique prétend se trouver bien seule, sans la loi et sans l’opinion publique pour la défendre, alors que, d’après des sondages, elle recouvrirait pas loin des deux tiers de la population française. Qu’en est-il exactement? Est-ce que les soixante-cinq millions de Français sont vraiment représentés à l’Assemblée Nationale, dans les médias, là où la liberté d’expression s’exécute? Là où « ce qu’il reste » de la liberté d’expression s’exécute, si l’on adopte le point de vue de ceux qui dénoncent une censure. Le 31 décembre 2004, deux amendements à la Loi Gayssot ont ajouté les propos homophobes (« discrimination à l’égard d’une personne ou d’un groupe de personnes à raison de leur orientation sexuelle ») à la liste des opinions qui n’en sont plus, puisqu’elles représentent un délit désormais. Il devient alors périlleux d’argumenter contre la loi du mariage pour tous. La communauté homosexuelle considère cette loi du mariage pour tous comme une loi anti-discrimination qui leur servira de nouveau principe au-delà duquel il n’y a de facto plus besoin de réfléchir pour défendre leur cause, puisqu’une loi est un principe, un principe est une limite au débat, et une loi fait autorité.